Konjunktur Wald

«L’euro n’existe pas»

Les pays membres de l’euro évoluent de façon toujours plus divergente sur le plan économique. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la Suisse qui, selon notre analyse, présente justement le plus fort désavantage en matière monétaire vis-à-vis de l’Allemagne, son plus important partenaire commercial.

«La Suisse n’existe pas.» Telle était la devise provocatrice du pavillon suisse à l’Exposition mondiale de Séville en 1992. Mais quel serait le diagnostic si l’on remettait en question l’existence même de la monnaie européenne? La réponse est: «L’euro n’existe pas» – car l’euro n’est, à ce jour, pas un espace économique homogène, bien au contraire, puisque les antagonismes ne cessent de croître.

Une inégalité croissance illustrée par le graphique ci-après. Les courbes indiquent les coûts de production des différents Etats. Si l’on se concentre d’abord sur le taux de change effectif réel de l’Italie, ce que l’on pourrait appeler le cours de l’«euro italien» (les modalités de calcul figurent dans l’encadré, tout en bas), on voit que celui-ci a continuellement renchéri depuis 2000, en raison de la hausse surproportionnelle des coûts salariaux unitaires italiens. Jadis, au temps de la lire, l’Italie aurait pu dévaluer sa monnaie, inversant la tendance et dotant les exportateurs d’une compétitivité nouvelle. Mais cela n’est désormais plus possible au sein de la zone euro.

La Suisse est chère, l’Allemagne bon marché
La Suisse est chère, l’Allemagne bon marché
Taux de change effectifs réels des différents Etats, en fonction des coûts salariaux unitaires.

En Allemagne, c’est exactement l’inverse: comme le montre notre graphique, l’«euro allemand» est bien trop bon marché. Et depuis l’abolition du Mark allemand «dur», il n’existe plus non plus de soupape de sécurité permettant de corriger quelque peu ce déséquilibre. Bien sûr, cette sous-évaluation représente un énorme avantage pour l’industrie d’exportation allemande, qui peut ainsi vendre ses produits à bas prix. Quant à l’«euro français», lui, il bénéficie actuellement d’une évaluation plus ou moins correcte.

Mais qu’en-est-il alors du taux de change effectif réel de la Suisse? Comme l’indique notre graphique, la crise financière a provoqué une forte appréciation du franc et renforcé la position de notre pays comme «havre sûr». Mais cela n’a pas défavorisé les exportateurs helvétiques par rapport à leurs homologues italiens – qui souffrent d’un «euro italien» également trop cher. Leur handicap par rapport à la concurrence allemande qui, elle, profite de l’«euro allemand» bon marché n’en est que plus important. Les avantages de l’Allemagne sur le plan monétaire représentent ainsi quelque 25%.

Cela pèse d’autant plus lourd que le pays de Goethe est aussi le principal partenaire commercial de la Suisse.

Plus de 40% des exportations vers l’UE sont destinées à notre voisin septentrional, tandis que la part de la France, en tant que deuxième pays d’exportation, s’élève tout juste à 15%. De plus, le désavantage monétaire vis-à-vis des entreprises françaises ne représente «que» 10% environ. Certes, les exportateurs suisses peuvent tenter de faire baisser à nouveau le cours effectif réel du franc jusqu’au niveau de l’«euro français» moyennant une hausse constante de la productivité, réduisant ainsi les coûts salariaux unitaires. Mais toute l’efficacité du monde ne leur suffira pas à combler l’énorme écart avec l’Allemagne.

Sans compter que la tendance à la dévaluation perdure dans la zone euro: la Banque centrale européenne (BCE) devrait ouvrir encore plus le robinet monétaire le 10 mars prochain. Elle combat ainsi passagèrement les frustrations engendrées par l’euro dans des pays tels que l’Italie, l’Espagne et la France. Mais la BCE ne pourra toutefois aplanir les inégalités massives au sein de la zone euro, car la monnaie unique faible continue de profiter avant tout à l’industrie d’exportation allemande. L’excédent commercial record de 250 milliards d’euros de l’an dernier le montre bien. A titre de comparaison, celui-ci n’était encore que de 60 milliards d’euros en 2000.

L’Union monétaire divise ainsi de plus en plus les pays, qui se livrent une concurrence acharnée avec des armes de plus en plus inégales, pas seulement en Europe.

Même les Etats-Unis commencent à se plaindre de l’«euro allemand» trop mou et ce, en dépit de la relative faiblesse de leurs relations commerciales.

La banque américaine JP Morgan a procédé à une analyse afin de déterminer dans quelle mesure on peut considérer l’euro comme un espace économique homogène, mesurant pour cela les inégalités au sein de la zone euro à l’aide de cent critères socio-économiques. Le résultat a alors été comparé avec une union fictive, composée de tous les pays du monde. L’issue laisse songeur: au sein de cette union constituée au hasard avec les pays, les différences se sont avérées moindres qu’entre les pays de la zone euro!

«L’euro n’existe pas – vive la différence!»

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3 thoughts on “«L’euro n’existe pas»”

  1. Je suis loin de partager votre opinion sur l’euro. Dans votre article, vous semblez regretter le temps béni des dévaluations. Il faut tout de même rappeler que les dévaluations ont constitué de formidables oreillers de paresse pour les pays rechignant à se réformer. Non seulement ils ne se réformaient pas mais ils provoquaient par ricochet la surévaluation des monnaies des bons élèves de la classe les pénalisant ensuite dans leurs exportations.
    L’euro existe bel et bien et constitue la bête noire de ceux qui n’ont pas le courage politique de réformer leur pays. Si l' »€ italien » est trop élevé, cela signifie que les réformes entamées par le pays doivent être poursuivies et peut-être même intensifiées afin qu’il se rapproche progressivement de la moyenne. A l’inverse, si l' »€ allemand » est trop faible, cela signifie que l’Allemagne pourrait payer mieux ses salariés et/ou devrait consentir à des investissements publics beaucoup plus massifs afin qu’il se rapproche lui aussi de la moyenne.
    La cible des critiques ne doit pas être l’euro ou la BCE mais les gouvernements européens qui, assis sur leur pré-carré- renâclent continuellement à lâcher des compétences qui seraient pourtant exercées plus efficacement au niveau continental qu’au niveau national! Et si vous pensez que je me trompe, alors regardez ce qui se passe aujourd’hui avec la crise des migrants!!

  2. Mais oui ….. l’euro existe ! Mais pour nous suisses il prend une valeur différente (contrevaleur en marchandises/services reçus) selon qu’on dépense notre argent en Allemagne ou en Italie par exemple.
    Suite à nos séjours réguliers dans ces 2 pays, nous constatons qu’il est plus économique de séjourner en Allemagne. (oouuaaahhh et le soleil !).

  3. Votre analyste a raison. L’Italie va mal. Mauvaise organisation partout,sauf dans l’Industrie Privée qui empêche la faillite de l’Italie. Tout est corrompu, mais on risque rien
    à voler l’état. Brighenti
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